A l'occasion des Troisièmes Rencontres de l'Imaginaire de Sèvres le 9 décembre 2006, une conférence s'est tenue dans la salle de l'Esc@le sur le thème des techniques d'écriture en SF. Pour l'animer, deux auteurs renommés de science-fiction française (encore que la juxtaposition de « renommé » et « science-fiction française » puisse faire sourire), Ayerdhal (de son vrai nom, Marc Soulier) et Pierre Bordage. Compte-rendu. Technique d'écriture La conférence déborde très rapidement du sujet des techniques d'écriture pour englober d'autres aspects de la SF, non seulement parce que comme l'ont posé dès le départ les deux intervenants, « il n'y a pas de technique d'écriture propre à la SF », mais aussi parce qu'ainsi qu'ils l'ont volontiers reconnu, leur sens artistique les pousse à ne pas se conformer à un plan préétabli. Pour eux, l'écriture SF rejoint l'art du romanesque, la spécificité du genre pouvant provenir selon Ayerdhal des nombreux néologismes que l'on est conduit à inventer, ou de mots dont le sens est détourné, comme la fameuse « épice » de Franck Herbert. Pierre Bordage intervient à propos pour signifier qu'il est « facile de schtroumpfer » : se contenter d'inventer de nouveaux mots qu'on enfile comme des perles les uns à la suite des autres ne peut mener qu'à dérouter le lecteur sans profit pour l'histoire. Selon Bordage, il est beaucoup plus intéressant de faire un travail sur l'étymologie des mots pour parvenir à leur donner un sens tel que le lecteur puisse les comprendre sans recourir au lexique. Le contexte doit évidemment être là pour favoriser cette compréhension, et pour créer cette « effet de réel », on ne doit pas s'éloigner de son univers ni chercher à se faire plaisir par l'écriture. En d'autres terme (je traduis avec mes propres mots), il faut servir avec son écriture aussi bien l'histoire que l'univers qui l'entoure. Ayerdhal ajoute qu'on peut utiliser des « sonorités ou racines déjà existantes » justement pour que le lecteur n'ait pas recours au lexique. Pierre Bordage fait ainsi référence aux ateliers d'écriture qu'il anime : « j'aiguille mes auteurs en repérant les phrases qui vous sortent du texte, j'essaie de les aider à sortir leur musique intérieure. Pour cela il faut faire sauter le bouchon : écrire, écrire, écrire, sans se poser la question de la recherche de l'inspiration. Il faut y aller, il n'y a que comme ça qu'on y arrive. » Ayerdhal souligne : « Il faut toujours tenir compte de ce que le lecteur est un inconnu. Il n'a pas les mêmes aspirations que vous. Il faut être lisible par tous, une bonne histoire est celle que l'on fait vivre intimement au lecteur. » Une spectatrice présente fait alors part de son expérience : elle écrit énormément, puis elle met tout à la poubelle, ne supportant pas ce qu'elle a produit. « Il faut proscrire tout jugement sur soi-même » répond Pierre Bordage. Quel style d'écriture préconise-t-il ? « Aucun en particulier. Le style doit être comme une surface d'eau : si limpide qu'on ne voit que le fond. Je recherche énormément la fluidité, mais pour moi les scènes de sexe et de combat sont les plus difficiles à écrire, car on ne doit rien laisser au hasard. » Plan ? Les auteurs font-ils un plan ou un synopsis de leur œuvre avant de la rédiger ? Pierre Bordage : « J'essaie de ne rien prévoir. Je ne referai plus l'erreur de faire un synopsis précis de ce que font mes personnages. Ils arrivent quand j'en ai besoin. A vouloir trop contrôler son livre, on finit par l'assécher. J'ai besoin de beaucoup travailler sur l'inconscient. » Ayerdhal est encore plus radical : « J'ai posé mon univers, mais je l'ai explosé au fur et à mesure de l'écriture. » Il évoque alors un roman trop long qu'il avait écrit. « J'ai dû supprimer des personnages. Il y en a d'autres que j'ai fondu l'un dans l'autre pour n'en avoir qu'un. » Selon eux, les personnages vivent leur propre vie et il est impossible de prévoir à l'avance les décisions qu'ils vont prendre ni les chemins qu'ils vont emprunter. Pour Bordage, « il me paraît plus intéressant d'accompagner le chemin de mon personnage plutôt que de lui en fixer un. » Et Ayerdhal de conclure : « le roman est de toute façon un exercice de construction. Au bout d'un moment, tout se met en place. » Spécificité et rôle de la SF D'après Bordage, « La SF peut être une illustration de la technologie. L'une de ses particularités, c'est que des personnages puissent être modifiés grâce à la technologie ou à la génétique. » Sur les progrès en ces matières, Ayerdhal n'est pas vraiment rassurant : « Ça va tellement vite qu'on ne peut pas suivre. C'est paniquant. Beaucoup de choses changent très vite, et à plusieurs niveaux. » Pour prendre le contre-pied, Bordage glisse un petit mot sur la fantasy : « On peut se poser la question de savoir si la fantasy ne serait pas un retour vers quelque chose de plus rassurant. » Intervient alors un jeune adolescent qui pose une question semblant déstabiliser les deux auteurs, car s'ensuit un petit silence gêné. « Est-ce que la SF ne vise pas à faire peur aux lecteurs ? » demande-t-il. C'est Ayerdhal qui finit par répondre. « Je ne cherche pas à jouer avec la peur comme un certain président américain pour obtenir des voix. Simplement il est difficile de faire de la SF positive quand on voit par exemple les rêves qu'a pu susciter l'atome et ce qui en a résulté. Tout ce que j'écris démarre d'une colère. » Ce à quoi Bordage renchérit : « Un écrivain comme Jules Verne a eu sa période positiviste, c'est vrai. Mais l'un des attributs de la SF est son rôle de sentinelle. Il y a souvent un effet d'avertissement, de garde-fou. Le deuxième effet de la SF est celui du merveilleux ou sense of wonder. C'est ce que j'aime dans l'école américaine, ce sense of wonder qui permet l'évasion. » Les auteurs se refusent tout manichésime : « Il n'y a rien de plus réussi qu'un personne de méchant qui a un fond humain et qui n'agit pas de manière gratuite » dit Bordage. Edition, relecteurs et lecture Un éditeur peut faire d'un bon livre un très bon livre, ce dont Ayerdhal et Bordage peuvent attester. Selon Bordage, « un bon éditeur suggère mais n'impose pas. L'œil éditorial est très important, car c'est le premier regard professionnel sur l'œuvre. Il est important d'avoir un éditeur attentif qui ne soit pas un bourreau. » Mais les éditeurs ne sont pas tout et vient bientôt la question des relecteurs. Ayerdhal pour sa part a eu « un pool de lecteurs pour tous ses romans sauf trois. Je choisis les lecteurs les plus francs possible. Qui ont un éventail de lecture le plus diversifié possible. J'ai besoin d'un retour qui soit réellement critique. On ne peut absolument pas se faire confiance. Parfois, on se prend un doute colossal en relisant les dernières épreuves avant publication. » Bordage a une expérience plus personnelle : « Ma première relectrice, c'est ma femme. » Sur la lecture, Ayerdhal est affirmatif : « Un des premiers trucs pour écrire c'est lire beaucoup. » Et il lit beaucoup, le bougre. « Un livre par jour. » Et d'ajouter : « Aujourd'hui, je ne lis plus un bouquin de SF. » Bordage, lui « adore être un lecteur et écrire en même temps. » Selon lui les deux peuvent se mener de front. « On n'appuie pas sur le même bouton. » Quant aux perspectives d'avenir et en particulier la volonté de gagner de nouveaux lecteurs à la SF, Bordage fait part de son expérience : « J'ai essayé de me tourner vers de la littérature blanche en rejetant les codes de la SF, avec pour résultat que j'ai perdu mon lectorat SF sans pour autant attirer de nouveaux lecteurs. Ça ne marche pas ainsi. Il y a un besoin d'estampille très important pour le lectorat de SF. Il faut qu'on gagne l'autre lectorat par la SF même, en jouant le jeu de la SF. »
Mon point de vue
Conférence
P-S : Rappel utile que me fait un autre auteur de SF, Boris Tzaprenko, concernant le positivisme, dont il convient de ne pas dévoyer le sens. Voici sa définition exacte : [PHILOSOPHIE] Système philosophique d'Auguste Comte. Doctrine philosophique selon laquelle l'unique fondement de la connaissance consiste en l'observation des faits et l'expérience.
Télécharger la fiche pratique d'écriture SF de Sylvie Parthenay (PDF)
- Retour vers le haut de page - Conférence : les techniques d'écriture de la SF (Sèvres 2006)
Accueil Qui suis-je ? Mon blog SF Les Explorateurs Technique d'écriture SF Fantasy Ardalia - Le Souffle d'Aoles Ardalia - Eau Turquoise Illustrations Le Souffle d'Aoles Le Souffle d'Aoles images complètes Illustrations Eau Turquoise Littérature de genre Fantastique Alice au Pays des Morts Boutique Livres brochés Ebooks Ebooks à partir de 1,49 euros Revue de presse Dossier de presse Le Cycle d'Ardalia Revue de presse Le Souffle d'Aoles Interviews Dossier de presse Les Explorateurs Revue de presse Les Explorateurs Evénements Rencontres avec les lecteurs Librairies Autres
Auteur, un métier ? Ecrire et se faire publier BD Jeux vidéos Images jeux Mes liens BannièreLa conférence de Sèvres 2006 sur les techniques d'écriture de la SF m'a inspiré diverses réactions. Celles-ci sont strictement personnelles et très certainement imprégnées de mes préjugés vis-à-vis d'une certaine SF française. Je le reconnais, ma connaissance de celle-ci est encore trop parcellaire pour que mon avis soit véritablement éclairé. Il ne faut donc pas y voir un jugement porté sur la SF française dans son ensemble, mais simplement un point de vue sur un certain état d'esprit qu'il me semble percevoir... mais un état d'esprit qui n'est pas sans conséquence sur la littérature SF actuelle. Autant le dire tout de suite, et j'en suis désolé, l'impression que j'ai eu en ressortant de la conférence, c'est que je n'avais pas envie d'acheter un livre de Bordage ou d'Ayerdhal. Ce qu'ils ont dit sur les techniques d'écriture n'est pas en cause : bien au contraire, j'ai trouvé ça passionnant. En règle générale, cela recoupe l'idée que je me fais en tant qu'auteur sur la manière d'écrire un livre. Il y a quelques différences, bien sûr : je tiens nettement plus la bride à mes personnages, tout en ayant conscience que plus la bride est serrée, moins les réactions risquent d'être naturelles. Je construis un synopsis bien structuré, de même que mon univers, car j'attache une grande importance à la cohérence, à la fois de l'univers et du scénario. Cependant il est évident que je ne respecte pas de très nombreux détails de mon scénario, et que mes personnages disposent d'une bonne marge de manoeuvre. Je ne sais donc pas à l'avance tout ce qui va se passer dans mes histoires, loin de là. Simplement, j'ai été marqué par mon premier ouvrage refusé par une maison d'édition, où l'on m'avait reproché de trop nombreuses incohérences. Je suis donc très vigilant à cet égard. Tout cela n'explique pas pourquoi j'ai ressenti une impression aussi négative à la sortie de cette conférence. Il faut savoir qu'on reproche le plus vivement à autrui les défauts dont on est soi-même affligé. J'ai donc fait ma propre introspection, pour m'apercevoir en en discutant avec ma femme que mon propre livre, Espace et Spasmes , n'était pas dépourvu de ce pessimisme qu'il m'a semblé ressentir lors de la conférence. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : la SF française a souvent les idées noires, c'est du moins ce qu'il ressort de mes visites sur les forums où l'on parle de SF française et de mes propres lectures. Quelles lectures ? Barjavel, par exemple, malgré une plume magnifique, ne faisait pas rayonner l'optimisme dans tous ses livres. Beaucoup plus récemment, surtout, je me suis astreint à lire en entier l'exécrable ''Le Monde Enfin'' d'Andrevon. Jean-Pierre Andrevon est l'un des auteurs les plus prolixes de la SF française, il a plus de 130 romans et nouvelles à son actif, et j'ai le plus grand respect pour sa carrière littéraire. Et pourtant, Le Monde Enfin , qu'il considère comme la pièce maîtresse de son oeuvre, est le roman le plus misanthrope que j'ai jamais lu. Vous voyez l'autoflagellation dont font preuve les médias français quand ils assènent les mauvaises nouvelles certains soirs ? Eh bien c'est la même chose mais en dix fois pire et à chaque page, une sorte de condensé. J'ai voulu le finir pour voir s'il se trouvait une lueur d'espoir à l'intérieur, et il en existe en effet une : certaines espèces extraterrestres sont peut-être promises à un meilleur avenir que l'espèce humaine, qui quant à elle est condamnée. En reposant le livre, j'ai eu l'impression que l'auteur avait fait mai 68 et que comme ses idéaux d'alors ne s'étaient pas concrétisés, il avait décidé de vomir non seulement l'humanité mais aussi toute bribe d'espoir. A l'heure où la France connaît le plus fort taux de suicide européen, il serait peut-être de notre responsabilité d'auteur d'apporter, et notamment aux adolescents, autre chose, me suis-je dit. De nous comporter non pas systématiquement comme une caisse de résonance des médias, des peurs et phobies humaines, mais comme des êtres humains doués de bon sens et qui savent faire la part des choses. Les médias ne parlent que des trains qui arrivent en retard, c'est bien connu, et il n'existe pas encore d'éducation aux médias, ce qui est véritablement déplorable. Quand un sujet comme ITER va faire cinq minutes aux actualités, alors qu'il s'agit d'un motif d'espoir de vie meilleure grâce à la technologie, combien vont être accordées à des affaires d'enlèvement ? L'émotion domine, car c'est elle qui conditionne l'audimat. Alors évidemment que tout ne va pas bien, que le réchauffement climatique est scientifiquement prouvé et qu'il va falloir s'attendre à de dangereux changements. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour vivre en permanence avec cette peur, comme l'avait si bien vu Goscinny, "que le ciel nous tombe sur la tête." Nous autres Gaulois n'avons peur que de cela, mais qu'est-ce que nous en avons peur ! Voilà donc dans quel état d'esprit j'étais en assistant à cette conférence : non pas celui de la peur mais de la rébellion contre sa tyrannie. C'est pourquoi j'ai été si sensible à la question de l'adolescent "Est-ce que la SF ne vise pas à faire peur aux lecteurs ?" Peut-être me suis-je alors imaginé le flottement qui s'en est suivi, de ces flottements qui indiquent que l'on a posé une question particulièrement pertinente ou dérangeante. Toujours est-il que certaines phrases m'ont paru révélatrices : "Jules Verne a eu sa période positiviste", notamment. Faire du positivisme, c'est se forcer à croire que tout va bien quand tout va mal. Pour moi, c'est voir les choses par le mauvais bout de la lorgnette, et pour tout dire de manière particulièrement tordue que de dire cela. Il suffit d'écarter les peurs et les angoisses, de s'en protéger en les affrontant par la raison pour que le coeur, naturellement, se porte vers la lumière. Il en sera toujours ainsi : l'homme est attiré par la lumière, à condition d'écouter son coeur on s'en rend compte. La petite phrase d'Ayerdhal sur l'espoir suscité par les découvertes sur l'atome et l'immense désillusion de la bombe atomique ne m'a pas non plus échappée. Dans le passé, l'homme qui le premier inventa la lance a dû être déçu également de voir ses pairs la retourner contre eux-mêmes. Eh oui, l'homme est explorateur de tout, des perversions comme des progrès. Est-ce une raison pour baisser les bras ? Pour devenir défaitiste et sortir un livre comme ''le Monde Enfin'' ? Oui, je l'avoue, ma réaction est peut-être aussi vive parce que je crains de devenir comme ces auteurs au même âge. Si c'est le cas, n'hésitez pas à me ressortir ce billet dans vingt ans. Une autre phrase, de Pierre Bordage, celle-là, m'a choqué. Les termes ne sont sans doute pas exacts mais ça devait donner à peu près ça : "un monde favorisant les aspirations humaines grâce aux progrès technologiques, c'est une utopie." Comment un homme du Moyen-Age verrait-il notre monde, avec les lavabos qui donnent de l'eau courante, l'électricité et le chauffage ? N'y verrait-il pas le paradis sur terre ? Je me méfie particulièrement des idéologies qui peuvent sous-tendre les discours pessimistes, l'une d'entre elles étant que l'homme est sur terre au purgatoire. Elle est encore bien ancrée dans les mentalités. Pour résumer mes impressions (mais il faut se méfier des impressions), je dirais que le discours qui m'a paru sous-tendre les dires de Bordage et d'Ayerdhal, ce n'était pas : "on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments", mais : "on ne fait de bonne littérature qu'avec de mauvais sentiments." La nuance est de taille. Avec un tel état d'esprit, on comprend mieux la différence entre la SF anglo-saxone, capable comme le disait justement Pierre Bordage de ''sense of wonder'' et une certaine SF française (pour éviter de trop généraliser). Si cette analyse devait s'avérer judicieuse, elle pourrait bien expliquer pourquoi la SF française est si peu lue. Sans vouloir faire du "positivisme" à tout crin, on peut tout de même estimer que se sont les gens qui ont un moral en acier, ceux qui croient en leur destin ou en leur futur, voire en celui de l'humanité, qui parviennent aux plus grands accomplissements.